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Le blog de anne.lesonneur.over-blog.com

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Un champ où tout se cultive au gré des humeurs.


Au royaume des songes (8)

Publié par Les chemins d'Anne Le Sonneur sur 5 Janvier 2011, 17:00pm

Catégories : #Contes et nouvelles

Ecume

Le soleil se lève sur le royaume endormi. Les ombres se détachent peu à peu de la nuit, comme s’affirmant en ce jour où le destin clame son ignorance. Le roi, qui depuis longtemps était à l’affût, ayant veillé sur toute l’obscurité de son cœur, s’assoit sur le trône, dans cette salle majestueuse qu’il a fait transformer en tribunal, espérant proclamer l’ultime sentence.

Les heures passent. La vie semble reprendre à l’intérieur du château mais un regard attentif peut surprendre les membres de certains trembler, comme si, soudain, toute la noirceur des âmes éclatait. Partout, le silence règne. Là-bas, les vagues ne sont plus qu’une onde immobile, pétrifiée. Ici, les lèvres paraissent définitivement closes. Seul le ciel porte l’unique expression de la parole, d’une parole terrifiante à laquelle le roi reste sourd. Il n’écoute que le bruit de ses pensées obscures, de son obsédant réquisitoire qui lui donne la force de s’obstiner.

« Certains riront de cet acte désespéré. Déjà, je les entends murmurer que je suis fou… Mais, qu’importe ! Mon pouvoir doit s’étendre bien au-delà de cette enceinte, assujettir tout être qui vit sur cette île, éliminer tout obstacle, qu’il soit de pierre ou de chair. Quant à toi, enfant de l’innocence, il me faut t’ôter ce sang qu’autrefois je te donnai ! Tu ne peux vivre, inconscient, tandis que ma souffrance grandit. Tu n’es qu’un souffle de mémoire que je m’en vais balayer.

Mon conseiller, mon frère, tu m’as abandonné par crainte d’un revenant ou de cet avenir qui plane au-dessus de nous. Pauvre homme, pauvre lâche qui s’est épouvanté d’une silhouette féminine, d’une ombre sans consistance ! Te voilà mort bêtement. Tu croyais pourtant en moi, autrefois. Tu n’as pas même frémi, quand j’abandonnais la femme qui m’aimait et qui portait notre enfant. La vue du trône, alors, ne t’affligeait pas ! Tu acceptais de me suivre dans ma destinée, sans même te demander pourquoi je l’avais assassinée, pourquoi elle s’était elle-même condamnée en refusant la couronne que je lui offrais, bien plus belle que son éternelle pureté. Pensais-tu que le simple fait de l’avoir enterrée rachèterait ta faute ? Pourquoi cette trahison aujourd’hui ? Comment as-tu pu imaginer que ton acte me conduirait à changer d’avis ?

Et toi, enfant, parce que tu es le seul témoin de l’humain que je fus –seule tache à mon règne divin – je te condamne à ton tour pour enfin me libérer et asseoir mon pouvoir au-dessus de tous ! Je pouvais te laisser respirer tant que j’ignorais ton existence. Je ne sais comment tu as survécu jusqu’ici, quel don t’a permis de semer ton innocence sur cette partie de l’île qui nous reste, pour quelques heures encore, étrangère. Maintenant, tu dois périr ! »

Le roi se lève, arpente la pièce en martelant ses pas, comme il avait fait des mots. Les heures s’étirent. La nuit s’écoule de nouveau…

Au moment où l’aube tente de poindre, dans un ciel couvert de sombres nuages, les soldats rentrent au château, l’enfant ligoté marchant derrière eux. La troupe franchit le seuil ; la herse s’abaisse après leur passage, tandis qu’au loin on entend la mer qui se déchaîne. Le roi observe le convoi, du haut de sa tour, caché derrière une vitre. Il adresse au capitaine qui l’a perçoit un signe de condamnation sans jugement, lui déléguant tout pouvoir d’exécution. Le roi décide ainsi de ne pas voir le visage de l’enfant. Il refuse un face à face dont il craint la puissance. Il rejette le risque de connaître, d’entendre celui qu’il n’admet pas être son fils. Il s’écarte de la fenêtre, de toute faiblesse, et s’enfonce dans l’obscurité des corridors, afin de nier le sang qui les unit.

Plus tard, il le sait, l’officier lui portera le somptueux calice empli d’innocence. 

 

Anne Le Sonneur

 

 

Au royaume des songes (1)

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L
<br /> <br /> Une bien belle écriture pour une noirceur d'âme terrible ! Bises et bonne fin de soirée !<br /> <br /> <br /> <br />
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L
Une écriture qui n'a pas fini de se dire. A demain Mireille. Avec mon amitié. Anne

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