L’entretien s’achève sur un silence frissonnant. Le souverain s’enferme alors dans un mutisme définitif, comme épuisé par son âme qui s’est si brusquement ouverte. Il s’enfonce dans son désert humain, oubliant ce qui l’entoure, la présence même du soldat. Le capitaine quitte le palais, pour seller son cheval et partir accomplir sa mission. Il bouscule le conseiller, qui était venu rendre visite au roi, sans même l’apercevoir, tant les paroles du souverain l’ont troublé.
Ce conseiller a entendu ce cœur qui s’étalait enfin. Désespéré par tant de haine, il s’enfuit rapidement, titubant d’incompréhension, et s’échappe de ce monde impitoyable. Il court à travers les prairies, les bois et rejoint le littoral. Il descend sur une plage déserte qu’il connaît pour y être venu autrefois, lorsque son frère n’avait ni couronne ni trône. Là, il se laisse tomber sur le sable, à genoux. Les mains jointes, les yeux perdus vers le lointain, il s’adresse à l’océan :
« La folie le gagne, Mer ! Il se croit un roi intouchable, un dieu et veut tuer votre enfant qui lui fait ombrage ! Si petit et déjà il ose lui cacher le soleil, lui ravir son astre ! Il veut immoler votre enfant, parce qu’il a peur de cette pureté qui émane de lui. Je vous supplie, Eau qu’aucun homme ne peut contraindre, je vous supplie d’épargner ce garçon ! La mort de sa mère ne suffit-elle pas ? »
Alors, le conseiller se relève, le regard noyé de larmes. Il s’approche des vagues qui lèchent ses pieds, avance lentement, l’esprit totalement vide, les mains tendues vers un ciel nocturne. Tandis que l’eau atteint sa poitrine, l’âme mise à nue, refusant le spectacle de l’enfance tachée de sang, il s’offre et se jette dans les eaux. Peut-être croit-il pouvoir éviter, par ce sacrifice, le crime qui se prépare, détourner le roi de sa folie. Peut-être est-ce une fuite devant son incapacité à se révolter.
L’étendue salée l’accueille ; les lames l’emportent vers les fonds marins, au creux de l’insouciance et de la pureté.
Quelque part sur la lande, l’enfant regarde cet homme qui se perd, impuissant…
Anne Le Sonneur